Depuis plusieurs mois, nous étions à courir, cogiter à toute vitesse, trouver les meilleures solutions techniques et pratiques pour créer notre boite de formation si justement nommée Le lièvre et la Tortue Formation.
Et puis, un virus invisible et improbable vient de nous stopper net dans notre élan tout neuf. Voilà qui interroge…
Le temps qui appartenait au lièvre (objectif de résultat) devient celui de la tortue (objectif de cheminement). Il n’a rien d’un temps immobile, rien d’un temps perdu mais c’est un temps où, par la force des choses, nous ne pouvons qu’être en objectif de cheminement. Deux semaines de confinement pour commencer mais il est plus que probable que se soit davantage. Bref, ce temps compté, si précieux qu’il ne faut pas le perdre, ce temps entre deux rendez-vous, deux calls, deux portes, ce temps que les grecs appelaient chronos, n’est plus de mise. Au placard pour un temps indéterminé !
Que reste t-il ?

Une petite présentation de la perception du temps par les grecs de l’Antiquité s’impose (merci à Olivier Lajous qui en parle si bien lors de ses conférences). Car si on connait tous très bien Chronos, le temps de l’immédiateté, les 3 autres semblent avoir largement disparus de nos postes de pilotage…

Tout d’abord Kaïros. Il est, malgré sa bouille juvénile sur les bas-reliefs grecs, aussi vieux que Chronos, mais qui n’a pas pris une ride ! Petit dieu ailé de l’opportunité, il faut le saisir lorsqu’il passe. S’il voyage volontiers accroché à l’encolure d’un Lièvre bondissant, il n’hésitera pas à s’installer confortablement sur le dos de la Tortue. Que vous soyez en objectif de cheminement ou en résultat, il se manifeste avec la même générosité. Pour autant que vous gardiez vos yeux grands ouverts ! La lenteur aide cependant à mieux discerner sa “petite touche perso”. Moins de stimulations permettent de mieux se concentrer sur ce qui apparait sous l’apparente banalité d’un lieu d’où on ne va pas bouger d’ici un bon moment. Il est alors important de ne pas hésiter à l’inviter sous la forme d’une question : quelle opportunité peut nous offrir ce ralentissement mondial ? Incontestablement, une bienheureuse prise de recul. Celle que l’on ne s’offre pas d’ordinaire, tant nous maintenons, dans un monde en constante accélération, nos têtes dans le guidon. C’est le moment de faire des bilans, de se mettre en quête de sens, d’élaborer une vision, d’écouter ses intuitions…
Mais Kaïros lorsqu’il voyage à dos de tortue, n’arrive jamais seul. Il est aussi celui qui va ouvrir la porte de nos logis confinés à deux autres temps grecs qui, pour l’un va le meubler et pour l’autre le réouvrir…

Il y a tout d’abord Scholé. S’il a donné le mot “school” en anglais, il n’est pas le temps de l’école tel que nous l’entendons d’ordinaire. A bien y regarder, il n’est cependant pas loin de cette école à laquelle le confinement contraint nos enfants : une école sans cour de récréation, sans copain avec qui partager sa table ou se disputer, sans déplacement, sans bruit, sans cantine… Le temps Scholé est un temps d’introspection, de lecture, d’étude. Il est le temps pendant lequel on nourrit sa curiosité. Il nous invite à interroger la création, à nous étonner sur ce que nous avons fini par trouver normal comme l’école, le bureau, les collègues, les transports, les courses, les vacances, un monde plein de routes pour les voitures, un ciel plein d’avions, des réseaux, visibles et invisibles, dans tous les sens… Qui est l’homme ? D’où vient-il ? Où va t-il ? Il est le temps du retour aux questions fondamentales : où va le monde ? où avons-nous l’envie qu’il aille ?

Le petit dernier des 4 temps grecs est l’alter ego de Scholé. Comme des jumeaux hétérozygotes, Scholé ne va pas sans Diatribé. Diatribé c’est le temps du partage, de l’échange, de la confrontation de mes idées avec celles des autres. C’est le temps où je sors de chez moi pour apporter au monde ma contribution et l’améliorer de l’apport des uns et des autres. Nos réseaux sociaux, nos téléphones portables, nos boites aux lettres lui sont dédiés. Et lorsque son temps sera revenu : la rue, la place du marché, les salles de conférences, de cours…
Diatribé pourrait prendre ici la forme de vos réactions en me lisant et me donner l’occasion de découvrir d’autres applications de ces 4 temps ou, peut-être même, un cinquième auquel les grecs n’avaient pas songé (Netflix?)… Quoiqu’il en soit, ce que Scholé et Diatribé nous apprennent, c’est qu’un monde se construit avec des prises de recul et des prises de becs.
Vous l’aurez compris, Diatribé est aussi la promesse de la fin de confinement, du plaisir de se retrouver et… du retour de chronos !
Ces 4 temps se conjuguent entre eux. Convergents ou divergents, ils accompagnent notre maturation, notre créativité, notre vivre-ensemble. En oublier un, c’est oublier une partie du travail à faire… Alors “scholez” bien votre Kaïros, en attendant de le “diatriber” quand Chronos sera de retour !
Bravo pour cette claire et ludique invitation à la réflexion sur ce Temps aux multiples visages ! Bravo à Gabriel pour ces chouettes illustrations.